Souvenirs d’une époque révolue
Il y a des sons qui ne s’oublient pas. Des voix qui traversent le temps, portées par les ondes courtes. Pour moi, les soirées d’antan avaient une bande-son particulière : celle de Saint-Lys Radio, indicatif FFL.
À l’époque où je découvrais le monde fascinant de la radio, mon récepteur HF m’ouvrait les portes d’un univers insoupçonné. En tournant le bouton de fréquence sur les bandes décamétriques, entre 4 et 22 MHz, je tombais inévitablement sur Saint-Lys Radio. Et quelle découverte !
Saint-Lys Radio (FFL/FFT) n’était pas une station comme les autres. C’était la grande station radio maritime française en ondes courtes, installée entre Saint-Lys et Vernet en Haute-Garonne. Exploitée par les PTT puis France Télécom, elle était la voix officielle qui reliait la France aux navires du monde entier et aux aéronefs en vol.
Je me souviens encore de ces longues soirées, l’oreille collée au haut-parleur de mon récepteur, captivé par ces communications venues de la haute mer. Les bulletins météo pour les navires, les messages en radiotélégraphie avec leur musique si particulière du code Morse, les appels en radiotéléphonie BLU… C’était un monde professionnel, sérieux, mais tellement fascinant pour un jeune passionné de radio.
Et puis il y a ce souvenir particulier, gravé dans ma mémoire : la voix de Alain Colas au téléphone. J’ai encore en tête ces communications entre Saint-Lys Radio et les navires, ces marins qui appelaient depuis l’Atlantique ou le Pacifique pour passer des messages, demander une liaison téléphonique avec la terre ferme, ou simplement donner leur position.
Saint-Lys Radio assurait bien plus que de simples communications. La station diffusait les bulletins météorologiques maritimes, les avis urgents aux navigateurs, gérait les appels de détresse, et permettait même l’assistance médicale en mer via le SAMU de Toulouse. C’était un service vital pour la sécurité maritime.
Le grésillement de la propagation HF, le QRM, le QSB, la qualité audio variable selon les conditions de propagation… tout cela faisait partie du charme. Chaque contact était unique, chaque soirée d’écoute différente selon l’activité solaire et l’état de l’ionosphère. Pas de garantie de réception, pas de qualité numérique parfaite, mais une authenticité et une magie que seules les ondes courtes peuvent offrir.
Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est l’ampleur des installations de Saint-Lys Radio. 22 antennes de réception, dont des antennes rhombiques directionnelles pour capter les signaux faibles des navires lointains. 6 antennes d’émission omnidirectionnelles, une par bande HF, plus 14 antennes directives en losange. Des émetteurs de 10 kW qui faisaient le tour du monde.
La station couvrait toutes les bandes marines HF : 4, 6, 8, 12, 16 et 22 MHz. Elle travaillait en radiotélégraphie (code Morse), en radiotélex, et en radiotéléphonie BLU (bande latérale unique). Un véritable hub de communications à l’échelle mondiale, géré avec professionnalisme par des opérateurs radio qualifiés.
Saint-Lys Radio ne se contentait pas des communications maritimes. Elle assurait aussi un service aéronautique pour les avions long-courriers d’Air France, UTA et Air Afrique qui donnaient leurs positions en vol au-dessus des océans. Imaginez : avant le GPS et les communications par satellite, c’était par HF que les pilotes communiquaient avec la terre ferme !
Le dernier message
Le vendredi 28 août 1998, à 20h00, après cinquante ans de bons et loyaux services, Saint-Lys Radio a diffusé son dernier message. Jeanne, l’opératrice, a annoncé avec émotion la fermeture définitive de la station. L’évolution technologique, l’arrivée du système SMDSM (Système Mondial de Détresse et de Sécurité en Mer) par satellite, avait rendu obsolètes ces grandes stations côtières HF.
« CQ CQ CQ de FFL à toutes les stations. Après cinquante ans de service, la station de Saint-Lys va stopper définitivement ses émissions avec les navires du monde entier… Les opérateurs de Saint-Lys radio vous donnent rendez-vous sur les réseaux de l’avenir. »
Aujourd’hui, en tant que radioamateur F4HXN, je continue à explorer ces mêmes bandes HF que Saint-Lys Radio utilisait. Les technologies ont évolué, les modes numériques se sont ajoutés, mais la magie de la propagation ionosphérique reste la même. Et chaque fois que je contacte un station maritime de trafic, ou que j’écoute les bulletins météo maritimes, je repense à Saint-Lys Radio.
Cette passion pour les communications HF, cette fascination pour ce que les ondes courtes peuvent accomplir, elle vient en partie de là, de ces soirées passées à écouter FFL. Saint-Lys Radio m’a montré qu’avec les bonnes fréquences et un peu de propagation, on peut toucher le monde entier.
Saint-Lys Radio a formé des générations d’opérateurs radio maritimes. La station délivrait les certificats d’opérateur pour tous les services : maritime, fluvial, aéronautique. Un patrimoine technique et humain considérable qui mérite d’être préservé. D’ailleurs, un musée Saint-Lys Radio existe aujourd’hui pour perpétuer cette mémoire.
Parfois, quand je scanne les bandes HF avec mon transceiver, il m’arrive d’avoir un instant de flottement en passant sur 8522,5 kHz ou 12912,6 kHz, comme si j’allais entendre à nouveau cet indicatif familier : « Ici FFL, Saint-Lys Radio… » Évidemment, le silence règne maintenant sur ces fréquences. Mais le souvenir reste, intact, comme ces ondes radio qui continuent de voyager dans l’espace longtemps après leur émission.
À tous ceux qui ont connu cette époque, à tous les radioamateurs qui ont écouté FFL, aux marins qui ont appelé Saint-Lys depuis leurs navires, aux opérateurs qui ont assuré ce service avec professionnalisme : nous partageons quelque chose d’unique, un morceau d’histoire des télécommunications qui ne reviendra jamais, mais qui a façonné notre passion pour la radio.
73 et bon vent à tous les marins !
Liens :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Lys_radio
L’antenne rhombique est une antenne directive à large bande composée de quatre conducteurs formant un losange horizontal suspendu entre des supports. Elle est principalement utilisée pour les communications HF longue distance.
- Configuration : Structure en losange avec alimentation d’un côté et résistance de terminaison de l’autre
- Dimensions : Longueur typique de 2 à 8 longueurs d’onde, angle d’ouverture de 40° à 70°
- Avantages : Gain élevé, large bande passante, construction simple
- Inconvénients : Nécessite beaucoup d’espace, rendement réduit (≈70%) dû à la résistance